Cérémonie du 11 novembre 2014 : N’oublions jamais !

N’oublions jamais !

Au nom de l’association des pupilles de la Seine, c’est pour nous un devoir solennel de souligner et commémorer ici, devant le monument aux morts, le 100e anniversaire du début de la Première Guerre mondiale. Un siècle s’est écoulé depuis que les premiers coups de fusil se sont fait entendre au mois d’août, en Europe, alors que l’espoir de paix s’évanouissait.

Lorsque le conflit a éclaté en Europe, en août 1914, on en prédisait la fin avant Noël. Comme nous le savons tous, ils avaient tort, terriblement tort. Pardonnez-moi si je ne m’attarde pas aux chiffres ni au souvenir amer de la souffrance et de la mort. Nous avons eu cent ans pour réfléchir à cette guerre. Beaucoup d’encre a coulé à ce sujet. Et pourtant, les soldats ont connu la boue et la maladie. Ils se sont battus dans de la boue assez profonde pour ensevelir un homme. Des milliers d’hommes pouvaient mourir en une seule journée pour avancer de quelques verges seulement. Nous ne pouvons qu’imaginer le courage dont ils ont dû faire preuve, la peur qu’ils ont dû ressentir et le dévouement qu’ils devaient avoir envers leur pays et leurs camarades pour recommencer constamment à se battre contre l’ennemi.

Le fait que cette guerre qui devait mettre fin à toutes les guerres ait persisté durant plus de quatre ans, coûtant la vie à quelque huit millions et demi de soldats — et blessant physiquement et mentalement des dizaines de millions de personnes — explique l’engagement international contracté après l’Armistice conclu le 11 novembre 1918, afin d’empêcher un autre conflit de la sorte. Le fait que la Première Guerre mondiale n’ait pas été la dernière des guerres nous rappelle aussi que la paix ne peut être garantie à tout jamais et qu’il faut la cultiver avec soin, jour après jour.

Dans notre Histoire française, la Grande Guerre occupe une place particulière. Elle est l’épreuve la plus dure qu’ait connue la population française dans son ensemble. Elle a profondément marqué, transformé la société française. Et notre sol a été, non pas le seul, mais le principal théâtre du conflit. C’est pourquoi la Grande Guerre suscite encore et toujours, cent ans après, et alors que tous les survivants ont disparu, une attention et même une passion que le temps non seulement n’altère pas, mais ranime.

Cette curiosité ne s’est jamais éteinte. Comment la comprendre ? Elle tient d’abord à l’ampleur, à la durée de la tragédie, à son intensité, à son caractère planétaire : 72 pays concernés. Elle tient aussi au déluge du feu qui s’est abattu sur des combattants qui n’y étaient pas préparés, qui pensaient partir pour une guerre fraîche et joyeuse. Elle tient à l’usage des armes qui furent utilisées – armes chimiques – pour la première fois. À ce point horrible que ces armes furent prohibées par la Communauté internationale. Par aussi l’arrivée de nouvelles formes de guerre : l’aviation mais aussi le char… Bref, une industrie.

Le souvenir de la Grande Guerre ne s’est jamais effacé. Il est d’ailleurs confondu dans les paysages, retracé dans des photos qui sont exposées : paysage du Nord, paysage de l’Est. Le souvenir de la Grande Guerre est présent dans chaque village, dans chaque ville, parce qu’il n’y a pas de commune en France où un monument aux morts n’ait été érigé, parce qu’il n’y a pas de commune en France où il n’y ait pas eu de victimes de la Première Guerre mondiale. La trace de cette guerre est inscrite également dans chaque famille, comme un patrimoine que l’on ouvre ou que l’on découvre ; comme une trace qui est entretenue, de génération en génération, avec des témoignages qui sont restés de la part de ceux qui ont vécu l’horreur.

Aujourd’hui, ce sont les photos, les objets, les archives qui permettent de reconstituer – chacun à son échelle – le récit de la désolation. Avec cette lancinante question posée, génération après génération : comment des soldats ont-ils pu, pendant des mois et des mois, pousser aussi loin les limites humaines et supporter cet enfer ?

Cette question, nous nous la posons d’autant plus volontiers que pour beaucoup d’entre vous, pour beaucoup d’entre nous, nous avons connu des survivants. Des grands-pères qui nous ont raconté leurs blessures qui, touchés par le gaz ou frappés par des balles, nous racontaient et nous racontent encore par le souvenir et par les objets laissés, les livres écrits : le froid, la faim, le dénuement, la fureur, la peur et l’odeur, l’odeur irrespirable de la mort qui vient. Maurice Genevoix a écrit les plus belles lignes là-dessus : « Ce que nous avons fait, c’est plus que ce que l’on pouvait demander à des hommes et nous l’avons fait ».

Comment ne pas saluer les 430.000 soldats venant de toutes les colonies, de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est et qui ont pris part à une guerre qui aurait pu ne pas être la leur. Ils y ont participé pour la France, et cet engagement fut ensuite au cœur de leur légitime exigence d’émancipation et d’indépendance.

Commémorer la Première Guerre mondiale, c’est aussi célébrer la victoire de la République, car la République se révéla plus forte que les Empires centraux. L’armée s’est mise au service de la République. L’autorité civile a prévalu jusqu’au bout, et c’est Clemenceau, un Républicain intransigeant, qui fut appelé « le père la Victoire ».

Commémorer la Première Guerre mondiale, c’est aussi rappeler la fraternité des démocraties avec le sacrifice de ces jeunes hommes, venus des cinq continents, qui sont morts sur les champs de bataille de la Somme, de l’Aisne, de la Meuse, de la Marne, qu’ils ne connaissaient pas, pour notre propre liberté. En témoignent sur notre sol les imposants cimetières que beaucoup connaissent : britanniques, russes, canadiens, australiens, néo-zélandais, sud-africains ou américains. C’est aussi ce souvenir-là que nous entretenons.

Commémorer la Première Guerre mondiale, c’est également prononcer un message de paix. Les victimes n’ont plus d’uniformes. Elles reposent, à égalité de respect. Le Centenaire n’a pas vocation à exhumer les combats d’hier, mais à réunir tous les belligérants. Réconcilier, c’est fait. Les rassembler dans la même évocation et nous rapprocher encore davantage de nos amis allemands.

Cette Guerre, cette Grande Guerre, si l’Histoire avait été maîtrisée, si l’humanité avait eu une raison, aurait dû être la dernière. C’était l’espoir des soldats de 1914. C’était le rêve de Charles Peguy, qui déclarait, à la veille de sa mort, le 5 septembre 1914 : « Je pars, soldat de la République, pour le désarmement général, pour la dernière des guerres. »

On sait ce qui advint par la suite : cette guerre ne fut pas la « der des ders ». Certes, et rappelons-le aussi, sur les ruines de cette Europe, sur les cimetières de cette jeunesse défunte, quelques esprits éclairés eurent l’audace de dire, de crier : « Cela suffit », « Plus jamais ça ». Des dirigeants créèrent la Société des Nations, dans laquelle l’Allemagne entra en 1926. Ils crurent alors à une paix durable avec d’autant plus d’illusion que l’effroi du conflit hantait encore tous les esprits. Ils rêvaient d’une relation nouvelle entre la France et l’Allemagne, comme Aristide Briand. Ils croyaient que la fin des empires et l’émancipation des peuples seraient la conséquence de la guerre, et qu’elle ouvrait une ère nouvelle.

C’est pourquoi, nous autres, anciens pupilles de l’État, un siècle plus tard, nous ne pouvons pas oublier tous ceux qui sont descendus au fond de cet abîme et beaucoup n’en sont pas revenus. Plus de 8 millions de Français – un cinquième de la population ! — furent appelés sous les drapeaux. Un million quatre cent mille sont morts. Des centaines de milliers ont été blessés : « gueules cassées », amputés, brûlés, gazés, qui ont porté tout au long de leur vie des stigmates, dans leur chair, sur leur visage, la marque indélébile de l’épreuve.

C’est en regardant le passé avec ses gloires, ses blessures, que nous prenons encore davantage conscience de nous-mêmes, de notre capacité de maîtriser notre destin. Savoir ce qu’est la mémoire, une mémoire partagée, une mémoire qui doit prendre en compte toutes les diversités de ceux qui l’ont constituée et qui font aujourd’hui ce que la France est… C’est une formule que le général de Gaulle lui-même avait voulu inscrire. Cette formule demeure comme étant autant d’exigence pour nous-même. Elle est la suivante : « C’est du passé que naît l’espoir ». Le passé n’est pas une nostalgie. Le passé n’est pas simplement le regard parfois complaisant que l’on porte sur l’Histoire. Le passé est un long segment et aussi une obligation. Être meilleur, être plus fort, être conscient de ce que nous avons encore à faire comme nation.

Aujourd’hui, à mon tour, je souhaite, en votre nom à tous, mes chers amis, qu’aucun des Français qui participèrent à cette mêlée furieuse ne soit omis. Il ne s’agit plus aujourd’hui de juger et encore moins de rejuger, il s’agit de se souvenir, de comprendre. Et s’il y a un principe que je retiens, c’est que la mémoire ne divise pas, jamais, elle rassemble.

N’oublions jamais, que les premiers partis sur le front pour défendre notre partie, furent les pupilles de l’État et les orphelins.

 Merci.

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